Le
dernier documentaire du journaliste et réalisateur primé par les
récompense de l’Emmy et du BAFTA [« Emmy award » et British Academy of Film
and Television Art], John Pilger, oppose deux mondes très différents : celui
d’inspiration blanche des plages du nord de Sydney et celui d’une communauté
aborigène ironiquement appelée Utopia, située dans le centre de l’Australie.
On estime que cette communauté est la plus désavantagée et la plus pauvre
d’Australie. Dans son dernier film, Utopia, Pilger confronte l’Australie
avec la honte de ses négligences dissimulées et l’échec systématique à
fournir aux Aborigènes les équipements matériels les plus élémentaires comme
les sanitaires, les salles de bain ou les cuisines.
Il met en lumière une véritable campagne de guerre organisée contre les
Aborigènes, contre leur auto-détermination, contre leurs
droits à la terre, même limités, établis dans le Territoire du Nord.
Filmé lorsque le parti travailliste était encore au pouvoir l’année
dernière, il examine la complicité des deux bords politiques dans la
privation des droits fondamentaux et de la mort prématurée des Aborigènes.
Il montre des manœuvres sans complexe contre les terres aborigènes sous le
prétexte d’une « intervention » basée sur les mensonges et la déception.
Le renforcement du rôle de la police comme force d’occupation contre les
Aborigènes est dénoncé. Il montre un jeune Aborigène se faisant taser et
plusieurs cas de mort en détention qui vont à l’encontre des droits humains
les plus fondamentaux.
Il dénonce aussi un taux d’incarcération scandaleux en Australie avec un
peuple aborigène qui est le plus emprisonné au monde.
Nous avons entendu comment Monsieur Ward est mort en Australie occidentale
après avoir été torturé et subit des brûlures sur la peau avant de suffoquer
à l’arrière d’une fourgonnette non climatisée où la température atteignait
57°C. Nous avons entendu parler du cas de Monsieur Briscoe qui est mort
asphyxié et intoxiqué à l’âge de 27 ans lors de son incarcération sous la «
protection » de la police à Alice Spring, alors qu’il n’avait commis aucun
crime.
Rien n’a changé depuis l’échec des accusations qui mettent en cause la
police dans le rapport, daté de 1991, de la Commission Royale chargée
d’enquêter sur la mort des Aborigènes en prison. Cela malgré les conclusions
de la commission qui ont montré que la police avait menti, commis des
parjures et caché des preuves, en 1981, dans le cas d’Eddie Murray, qui est
mort avec le sternum défoncé alors que la police parlait de suicide.
Le père
d’Eddy, Arthur Murray, qui était engagé dans la lutte pour de meilleurs
salaires et meilleurs conditions de travail des coupeurs de coton à Wee Waa,
New South Wales, considérait que la mort violente de son fils était le
résultat final d’une campagne d’intimidation en représailles à son
activisme.
Utopia montre l’humiliante face cachée de l’Australie où les communautés
aborigènes sont obligées d’endurer des conditions de vie inacceptables alors
que le pays a bâti sa prospérité sur des ressources prises dans les terres
aborigènes.
Il montre des communautés aborigènes où s’entassent entre 15 et 30 personnes
dans la même habitation, sans électricité, sans cuisine, sans douche ou
salle de bain, partageant un seul robinet d’eau extérieur, cuisinant au feu
de bois et quasiment sans transport.
Les communautés aborigènes éloignées ne peuvent avoir accès aux conditions
de vie minimum des autres villes d’Australie. En même temps, les directeurs
financiers envoyés par le gouvernement dans ces mêmes communautés possèdent
18 climatiseurs dans leurs maisons grillagées.
Ces conditions déplorables sont communes dans toutes les communautés
aborigènes éloignées. Le manque de sanitaire et de matériel de nettoyage a
des conséquences directes sur la santé des enfants et des adultes, avec une
inter-contamination qui se traduit par des diarrhées, des gastroentérites et
des otites qui entraînent une perte d’audition et un retard dans
l’apprentissage à l’école.
Le film montre la petite communauté de Mutujulu où le manque de sanitaire
laisse place à des tas d’excréments dans les arrière-cours et où 70% des
maisons sont couvertes d’amiante en décomposition. Comme il n’y a nulle part
ailleurs où aller, les membres de la communauté sont obligés de continuer à
vivre dans ces maisons qui mettent sérieusement en danger leur santé.
Ces conditions seraient inacceptables pour des blancs et montre la profonde
discrimination sur laquelle a été bâtie et se maintient l’Australie.
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Pilger utilise des extraits de son film de 1984
Secret Country [Pays secret]
pour mettre en lumière l’échec complet à faire avancer cette question
soulevée 30 ans auparavant dans son film. Le trachome demeure un fléau dans
les communautés aborigènes qui continue à rendre aveugle la population,
alors que cette maladie peut être complètement évitée par de la prévention.
Cela place l’Australie sur la liste noire des Nations Unies pour son
incapacité à résoudre le problème des conditions de vie désastreuses en
adoptant des mesures préventives aussi élémentaires que fournir des
conditions minimales d’hygiène ou un accès à une salle de bain.
Le film est choquant lorsque les médecins se plaignent de traiter des
patients ayant des insectes dans les oreilles parce qu’ils ne peuvent pas se
laver dans les communautés. L’association des médecins indigènes rapporte un
niveau élevé de malnutrition dans les communautés où le coût des fruits et
légumes est trop élevé pour maintenir un régime alimentaire sain.
Le fait alarmant qu’un
tiers des Aborigènes meurent avant 45 ans devrait indigner
l’Australie.
Le fait alarmant qu’un tiers des Aborigènes meurent avant 45 ans devrait
indigner l’Australie. La pauvreté et la dégradation sont affligeantes, mais
malgré la prospérité et les ressources australiennes, les Aborigènes sont
tenus responsables de leur propre pauvreté et de l’échec du gouvernement à
investir dans les communautés aborigènes.
Utopia nous rappelle une partie de notre histoire récente et l’impact de
l’ancienne politique d’assimilation, qui a vu des enfants retirés de leurs
familles puis placés comme main d’œuvre dans des familles de classe moyenne.
Les promesses d’un changement après les excuses, en 2007, du premier
ministre de l’époque, Kevin Rudd, n’ont pas été tenues, d’après Olga Havnen
[avocate et activiste aborigène].
Environ 80 millions de dollars sont encore dépensés chaque année pour
retirer des enfants aborigènes alors que seulement 500 000 dollars sont
dépensés pour aider les familles en difficultés.
Ce niveau criminel de négligence des communautés aborigènes est fondé sur
l’incapacité de l’Australie à faire face à la vérité sur son histoire et
reflète la profonde ignorance de l’ensemble de la communauté, véhiculée par
les médias et les campagnes de publicité de l’industrie minière.
L’Australie, remarque Pilger, dissimule l’histoire de la résistance
aborigène dans laquelle les Gurinjdi ont fait grève pendant huit ans avec
détermination pour obtenir l’égalité des salaires. La grève a mis fin à
l’exploitation des Aborigènes travaillant pour des rations alimentaires et
elle a permis de laisser entrevoir la reconnaissance des droits à la terre.
Mais les communautés aborigènes sont à nouveau obligées de se battre pour
obtenir les droits à la terre qu’ils avaient précédemment acquis de haute
lutte. Trish Morton-Thomas [actrice, réalisatrice et productrice de films et
documentaires] établit un lien entre les recherches aériennes pour les
minerais puis les découvertes de réserves d’uranium dans l’Australie
centrale, avec la mise en place de l’intervention militaire dans le
Territoire du nord [intervention ordonnée par le gouvernement conservateur
de John Howard en 2007] pour prendre le contrôle des terres aborigènes.
Les recherches de Pilger ont permis de déterrer un rapport du gouvernement
de 2007 qui présente le Territoire du nord comme une zone minière de
première importance pour l’avenir de l’Australie.
Utopia explique comment le plan de Réponse d’Urgence dans le Territoire du
nord élaboré par le gouvernement de Howard en 2007, qui a envoyé l’armée
dans les communautés aborigènes et qui a pris le control de ces communautés,
était basé sur le sinistre mensonge des réseaux pédophiles.
Pilger met en lumière que Chris Graham, du
National Indigenous Times,
s’étant fait passé pour un jeune travailleur anonyme soutenant que les
réseaux pédophiles n’existaient pas, a exposé le fait que Greg Andrews, un
fonctionnaire du gouvernement, avait donné des instructions à celui qui
allait devenir le ministre des affaires aborigènes Mal Brough. Ce dernier
maintint les allégations [de réseau pédophile] et accéléra
l’intervention [de l’armée].
Malgré le côté sensationnel de la question, ni la Commission du
Crime Australien, ni la police du Territoire du nord ne purent trouver
des preuves de l’existence de réseaux pédophiles dans les communautés
aborigènes.
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L’intervention de l’armée a été faite en ignorant une partie du
rapport Little Children are Sacred [Les petits enfants sont
sacrés], qui faisait état de la pauvreté, du manque d’éducation,
du manque d’habitation, du chômage et des conditions sociales
désespérantes [dans les communautés aborigènes].
A la place, cette intervention a mis en place une quarantaine
sur les revenus. Ce système consiste à introduire une carte unique qui
remplace les titres de paiement pour la sécurité sociale et entraîne
une série de mesures répressives qui touche uniquement les Aborigènes
et nécessite [pour son application] la suspension de la loi sur la
discrimination raciale.
Pire encore, des politiques complètement inappropriées dans le
domaine de la protection de l’enfance ont été mises en place. Le
gouvernement était déterminé à prendre le contrôle des terres
aborigènes, faisant du chantage à ces communautés en les menaçant de
retirer les services élémentaires, le logement et les installations
sanitaires s’ils ne signaient pas un accord pour louer leur terre au
gouvernement.
L’intervention est aussi la confirmation de l’abandon presque total
du programme des emplois pour le développement de la communauté.
Cette attaque concertée contre les communautés aborigènes et leur
incapacité à prendre des décisions, à la fois individuelles et
collectives, a mené ces communautés au désespoir et se traduit par le
quadruplement de la fréquence des suicides et auto mutilation.
De manière implacable, Pilger fait plus qu’établir un constat
sur des décennies d’abandon, la désespérante pauvreté et les
motivations néolibérales qui se cachent derrière les attaques
actuelles sur les communautés aborigènes, et qui ont vu un glissement
idéologique significatif qui tend à éloigner le principe
d’auto-détermination des Aborigènes.
Rosalie Kunoth-Monks [actrice et activiste aborigène] déclare
que les Aborigènes n’ont jamais cédé leur souveraineté ou donner leur
accord pour échanger leur terre contre la sécurité sociale.
Alors que d’autres pays comparables ont des traités qui
permettent de commencer à reconnaître l’auto-détermination de leur
peuple autochtone, le processus de réconciliation symbolique n’a pas
stoppé l’accaparement actuelle des terres ou apporté une quelconque
forme de justice pour les Aborigènes.
Jon Altman [universitaire spécialisé dans les questions de
développement économique et des politiques associées pour les
Aborigènes] considère que l’Australie a besoin d’une aide
internationale pour traiter la situation épouvantable des communautés
aborigènes et déclare que la question est trop politisée pour que les
gouvernements la traitent rationnellement.
Utopia nous rappelle que l’industrie minière
australienne fait un profit de 1 milliard de dollars par semaine ou
environ 52 milliard par an sur des terres qui ne leurs appartiennent
pas. Ces immenses profits permettent à l’industrie de mener une
campagne médiatique fondée sur la peur contre la promesse du
gouvernement travailliste de Hawke d’établir des droits à la terre
aborigène au niveau national.
Une taxe sur les supers profits des mines pourrait rapporter 60
milliard de dollars [sur plusieurs année], assez pour alimenter un
fond sur les droits à la terre et mettre fin à la pauvreté aborigène,
mais cette mesure a été rejetée par le parlement australien.
Le message le plus critique d’Utopia est qu’une
véritable réconciliation est impossible sans justice. Ce film est
aussi un puissant rappel d’une citation de Desmond tutu, qui disait :
« Si vous êtes neutre dans les situations d’injustice, vous avez
choisi le côté de l’oppresseur ».
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