La situation des Aborigènes en 2014

 

Utopia, un film que tous les australiens devraient voir

En début d'année 2014, un nouveau documentaire sur la situation des Aborigènes est diffusé dans les lieux ou institutions progressistes de plusieurs grandes villes australiennes. Ce long-métrage, intitulé Utopia, fait un bilan édifiant de toutes les affaires qui ont secoué le monde aborigène au cours des dernières années. Le réalisateur du film, John Pilger, affirme que la situation des communautés aborigènes est pire qu'il y a trente ans. Pour en savoir plus sur John Pilger, vous pouvez consulter son site web : http://johnpilger.com

Le film est accessible sur YouTube (merci à Stéphane Camille pour l'adresse) : http://www.youtube.com/watch?v=-j_r0Wgg0T0

Dans le journal de gauche Green Left, daté du 22 janvier 2014, la journaliste Cathy Eatock fait un compte rendu complet du film Utopia et permet ainsi de se faire une idée de la sombre période que traverse le monde aborigène. Ma traduction de cette article intitulé Un exposé dévastateur sur l'arpatheid est donné ci-dessous. Chacun pourra se faire première une idée du contenu de ce film et effectuer des recherches complémentaires pour vérifier les faits énumérés dans cet article. Quoiqu'il en soit, ce film mérite d'être vu par tous les australiens et par tous ceux, à l'étranger, qui s'intéressent à la situation des Aborigènes au sein de l'Australie.



Un exposé dévastateur sur l'apartheid

[article de Cathy Eatock paru dans le numéro 993 de janvier 2014 du journal Green Left]*

 

   Le dernier documentaire du journaliste et réalisateur primé par les récompense de l’Emmy et du BAFTA [« Emmy award » et British Academy of Film and Television Art], John Pilger, oppose deux mondes très différents : celui d’inspiration blanche des plages du nord de Sydney et celui d’une communauté aborigène ironiquement appelée Utopia, située dans le centre de l’Australie.
   On estime que cette communauté est la plus désavantagée et la plus pauvre d’Australie. Dans son dernier film, Utopia, Pilger confronte l’Australie avec la honte de ses négligences dissimulées et l’échec systématique à fournir aux Aborigènes les équipements matériels les plus élémentaires comme les sanitaires, les salles de bain ou les cuisines.
   Il met en lumière une véritable campagne de guerre organisée contre les Aborigènes, contre leur auto-détermination, contre leurs droits à la terre, même limités, établis dans le Territoire du Nord.
   Filmé lorsque le parti travailliste était encore au pouvoir l’année dernière, il examine la complicité des deux bords politiques dans la privation des droits fondamentaux et de la mort prématurée des Aborigènes. Il montre des manœuvres sans complexe contre les terres aborigènes sous le prétexte d’une « intervention » basée sur les mensonges et la déception.
   Le renforcement du rôle de la police comme force d’occupation contre les Aborigènes est dénoncé. Il montre un jeune Aborigène se faisant taser et plusieurs cas de mort en détention qui vont à l’encontre des droits humains les plus fondamentaux.
Il dénonce aussi un taux d’incarcération scandaleux en Australie avec un peuple aborigène qui est le plus emprisonné au monde.
 

Nous avons entendu comment Monsieur Ward est mort en Australie occidentale après avoir été torturé et subit des brûlures sur la peau avant de suffoquer à l’arrière d’une fourgonnette non climatisée où la température atteignait 57°C. Nous avons entendu parler du cas de Monsieur Briscoe qui est mort asphyxié et intoxiqué à l’âge de 27 ans lors de son incarcération sous la « protection » de la police à Alice Spring, alors qu’il n’avait commis aucun crime.
   Rien n’a changé depuis l’échec des accusations qui mettent en cause la police dans le rapport, daté de 1991, de la Commission Royale chargée d’enquêter sur la mort des Aborigènes en prison. Cela malgré les conclusions de la commission qui ont montré que la police avait menti, commis des parjures et caché des preuves, en 1981, dans le cas d’Eddie Murray, qui est mort avec le sternum défoncé alors que la police parlait de suicide.
   Le père d’Eddy, Arthur Murray, qui était engagé dans la lutte pour de meilleurs salaires et meilleurs conditions de travail des coupeurs de coton à Wee Waa, New South Wales, considérait que la mort violente de son fils était le résultat final d’une campagne d’intimidation en représailles à son activisme.
   Utopia montre l’humiliante face cachée de l’Australie où les communautés aborigènes sont obligées d’endurer des conditions de vie inacceptables alors que le pays a bâti sa prospérité sur des ressources prises dans les terres aborigènes.
 

   Il montre des communautés aborigènes où s’entassent entre 15 et 30 personnes dans la même habitation, sans électricité, sans cuisine, sans douche ou salle de bain, partageant un seul robinet d’eau extérieur, cuisinant au feu de bois et quasiment sans transport.
   Les communautés aborigènes éloignées ne peuvent avoir accès aux conditions de vie minimum des autres villes d’Australie. En même temps, les directeurs financiers envoyés par le gouvernement dans ces mêmes communautés possèdent 18 climatiseurs dans leurs maisons grillagées.
   Ces conditions déplorables sont communes dans toutes les communautés aborigènes éloignées. Le manque de sanitaire et de matériel de nettoyage a des conséquences directes sur la santé des enfants et des adultes, avec une inter-contamination qui se traduit par des diarrhées, des gastroentérites et des otites qui entraînent une perte d’audition et un retard dans l’apprentissage à l’école.
   Le film montre la petite communauté de Mutujulu où le manque de sanitaire laisse place à des tas d’excréments dans les arrière-cours et où 70% des maisons sont couvertes d’amiante en décomposition. Comme il n’y a nulle part ailleurs où aller, les membres de la communauté sont obligés de continuer à vivre dans ces maisons qui mettent sérieusement en danger leur santé.
   Ces conditions seraient inacceptables pour des blancs et montre la profonde discrimination sur laquelle a été bâtie et se maintient l’Australie.

Pilger utilise des extraits de son film de 1984 Secret Country [Pays secret] pour mettre en lumière l’échec complet à faire avancer cette question soulevée 30 ans auparavant dans son film. Le trachome demeure un fléau dans les communautés aborigènes qui continue à rendre aveugle la population, alors que cette maladie peut être complètement évitée par de la prévention. Cela place l’Australie sur la liste noire des Nations Unies pour son incapacité à résoudre le problème des conditions de vie désastreuses en adoptant des mesures préventives aussi élémentaires que fournir des conditions minimales d’hygiène ou un accès à une salle de bain.
   Le film est choquant lorsque les médecins se plaignent de traiter des patients ayant des insectes dans les oreilles parce qu’ils ne peuvent pas se laver dans les communautés. L’association des médecins indigènes rapporte un niveau élevé de malnutrition dans les communautés où le coût des fruits et légumes est trop élevé pour maintenir un régime alimentaire sain.

Le fait alarmant qu’un tiers des Aborigènes meurent avant 45 ans devrait indigner l’Australie.

   Le fait alarmant qu’un tiers des Aborigènes meurent avant 45 ans devrait indigner l’Australie. La pauvreté et la dégradation sont affligeantes, mais malgré la prospérité et les ressources australiennes, les Aborigènes sont tenus responsables de leur propre pauvreté et de l’échec du gouvernement à investir dans les communautés aborigènes.
   Utopia nous rappelle une partie de notre histoire récente et l’impact de l’ancienne politique d’assimilation, qui a vu des enfants retirés de leurs familles puis placés comme main d’œuvre dans des familles de classe moyenne.
   Les promesses d’un changement après les excuses, en 2007, du premier ministre de l’époque, Kevin Rudd, n’ont pas été tenues, d’après Olga Havnen [avocate et activiste aborigène].
   Environ 80 millions de dollars sont encore dépensés chaque année pour retirer des enfants aborigènes alors que seulement 500 000 dollars sont dépensés pour aider les familles en difficultés.
   Ce niveau criminel de négligence des communautés aborigènes est fondé sur l’incapacité de l’Australie à faire face à la vérité sur son histoire et reflète la profonde ignorance de l’ensemble de la communauté, véhiculée par les médias et les campagnes de publicité de l’industrie minière.
   L’Australie, remarque Pilger, dissimule l’histoire de la résistance aborigène dans laquelle les Gurinjdi ont fait grève pendant huit ans avec détermination pour obtenir l’égalité des salaires. La grève a mis fin à l’exploitation des Aborigènes travaillant pour des rations alimentaires et elle a permis de laisser entrevoir la reconnaissance des droits à la terre.
   Mais les communautés aborigènes sont à nouveau obligées de se battre pour obtenir les droits à la terre qu’ils avaient précédemment acquis de haute lutte. Trish Morton-Thomas [actrice, réalisatrice et productrice de films et documentaires] établit un lien entre les recherches aériennes pour les minerais puis les découvertes de réserves d’uranium dans l’Australie centrale, avec la mise en place de l’intervention militaire dans le Territoire du nord [intervention ordonnée par le gouvernement conservateur de John Howard en 2007] pour prendre le contrôle des terres aborigènes.
   Les recherches de Pilger ont permis de déterrer un rapport du gouvernement de 2007 qui présente le Territoire du nord comme une zone minière de première importance pour l’avenir de l’Australie.
   Utopia explique comment le plan de Réponse d’Urgence dans le Territoire du nord élaboré par le gouvernement de Howard en 2007, qui a envoyé l’armée dans les communautés aborigènes et qui a pris le control de ces communautés, était basé sur le sinistre mensonge des réseaux pédophiles.


Pilger met en lumière que Chris Graham, du National Indigenous Times, s’étant fait passé pour un jeune travailleur anonyme soutenant que les réseaux pédophiles n’existaient pas, a exposé le fait que Greg Andrews, un fonctionnaire du gouvernement, avait donné des instructions à celui qui allait devenir le ministre des affaires aborigènes Mal Brough. Ce dernier maintint les allégations [de réseau pédophile] et accéléra l’intervention [de l’armée].
   Malgré le côté sensationnel de la question, ni la Commission du Crime Australien, ni la police du Territoire du nord ne purent trouver des preuves de l’existence de réseaux pédophiles dans les communautés aborigènes.

   L’intervention de l’armée a été faite en ignorant une partie du rapport Little Children are Sacred [Les petits enfants sont sacrés], qui faisait état de la pauvreté, du manque d’éducation, du manque d’habitation, du chômage et des conditions sociales désespérantes [dans les communautés aborigènes].
   A la place, cette intervention a mis en place une quarantaine sur les revenus. Ce système consiste à introduire une carte unique qui remplace les titres de paiement pour la sécurité sociale et entraîne une série de mesures répressives qui touche uniquement les Aborigènes et nécessite [pour son application] la suspension de la loi sur la discrimination raciale.
   Pire encore, des politiques complètement inappropriées dans le domaine de la protection de l’enfance ont été mises en place. Le gouvernement était déterminé à prendre le contrôle des terres aborigènes, faisant du chantage à ces communautés en les menaçant de retirer les services élémentaires, le logement et les installations sanitaires s’ils ne signaient pas un accord pour louer leur terre au gouvernement.
  L’intervention est aussi la confirmation de l’abandon presque total du programme des emplois pour le développement de la communauté.  
   Cette attaque concertée contre les communautés aborigènes et leur incapacité à prendre des décisions, à la fois individuelles et collectives, a mené ces communautés au désespoir et se traduit par le quadruplement de la fréquence des suicides et auto mutilation.
   De manière implacable, Pilger fait plus qu’établir un constat sur des décennies d’abandon, la désespérante pauvreté et les motivations néolibérales qui se cachent derrière les attaques actuelles sur les communautés aborigènes, et qui ont vu un glissement idéologique significatif qui tend à éloigner le principe d’auto-détermination des Aborigènes.
   Rosalie Kunoth-Monks [actrice et activiste aborigène] déclare que les Aborigènes n’ont jamais cédé leur souveraineté ou donner leur accord pour échanger leur terre contre la sécurité sociale.
   Alors que d’autres pays comparables ont des traités qui permettent de commencer à reconnaître l’auto-détermination de leur peuple autochtone, le processus de réconciliation symbolique n’a pas stoppé l’accaparement actuelle des terres ou apporté une quelconque forme de justice pour les Aborigènes.
  Jon Altman [universitaire spécialisé dans les questions de développement économique et des politiques associées pour les Aborigènes] considère que l’Australie a besoin d’une aide internationale pour traiter la situation épouvantable des communautés aborigènes et déclare que la question est trop politisée pour que les gouvernements la traitent rationnellement.
   Utopia nous rappelle que l’industrie minière australienne fait un profit de 1 milliard de dollars par semaine ou environ 52 milliard par an sur des terres qui ne leurs appartiennent pas. Ces immenses profits permettent à l’industrie de mener une campagne médiatique fondée sur la peur contre la promesse du gouvernement travailliste de Hawke d’établir des droits à la terre aborigène au niveau national.
   Une taxe sur les supers profits des mines pourrait rapporter 60 milliard de dollars [sur plusieurs année], assez pour alimenter un fond sur les droits à la terre et mettre fin à la pauvreté aborigène, mais cette mesure a été rejetée par le parlement australien.
   Le message le plus critique d’Utopia est qu’une véritable réconciliation est impossible sans justice. Ce film est aussi un puissant rappel d’une citation de Desmond tutu, qui disait : « Si vous êtes neutre dans les situations d’injustice, vous avez choisi le côté de l’oppresseur ».

 

* Les notes entre crochets correspondent à des compléments de traduction.
 

Traduction : Marc Faucompré, février 2014.

Compléments pour situer le contexte économique de cet article :

Les chiffres cités à la fin de cet article, concernant la taxation des profits miniers, méritent quelques recherches et vérifications.

 

D'abord, un article en français de Sophie Cousineau, tiré du journal canadien francophone La Presse, daté du 26 mars 2011, qui donne une idée générale de la relation entre l'industrie minière et les australiens :

" Les Australiens entretiennent une relation amour-haine avec l'industrie minière, qui repart sur sa folle lancée après avoir fait une pause durant la crise financière. La demande de la Chine et du reste de l'Asie semble insatiable.

En raison de la poussée des prix des matières premières et de la hausse de la production, l'Australie a expédié pour 165 milliards?$A de minerais et de produits pétroliers et gaziers en 2010. Ces expéditions, qui ont progressé de 25% en seulement un an, représentent 71% des exportations de marchandises du pays?! C'est deux fois plus élevé qu'au Canada (36%), selon les calculs de La Presse à partir de données fournies par Statistique Canada.

Aucune autre industrie n'a progressé aussi rapidement en cinq ans. Les Australiens en ont profité. L'industrie emploie près de 206 000 personnes, une main-d'oeuvre 57% supérieure à il y a cinq ans. Mais les minières aussi, surtout les grandes comme BHP Billiton, Rio Tinto, XStrata ou Forescue Metals, dont les profits se chiffrent par dizaines de milliards de dollars.

Cette voracité dans l'extraction des ressources de l'Australie dérange même ceux qui, comme John Semple, défendent l'industrie minière. «Tout cet argent qui se retrouve dans les poches des actionnaires étrangers! Ce sont les ressources du pays. Lorsqu'elles auront été dilapidées, il n'y en aura plus. Notre pays doit recevoir sa juste part des profits», martèle-t-il.
"...

Pour lire la suite de cet article, vous pouvez consulter la page http://affaires.lapresse.ca/dossiers/australie/201103/25/01-4383272-australie-bonne-mine-mauvaise-mine.php

 

Concernant plus précisément le projet de taxe du gouvernement australien sur les profits miniers, vous pouvez consulter le site Wikipédia (en anglais uniquement)  http://en.wikipedia.org/wiki/Minerals_Resource_Rent_Tax qui retrace l'historique des batailles qui opposent toujours l'industrie minière et le gouvernement australien. Dans cette guerre de l'Etat contre les intérêts privés, la cause des Aborigènes semble tristement insignifiante.    

 

Enfin, le site web (en anglais uniquement) http://www.mining-tax.com.au/  donne les chiffres de l'accroissement des bénéfices de l'industrie minière depuis 2005. Les barres vertes correspondent aux profits de l'industrie minière avant taxation et les barres grises correspondent au montant des taxes et royalties actuelles. La fine ligne verte indique le pourcentage des taxes et royalties par rapport aux profits.

Ce tableau permet de confirmer la réalité des chiffres annoncés dans l'article de Cathy Eatock.

 

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